L’expérience
d’un groupe pluriprofessionnel appelé
"Demande
et non-demande de soin".
Participant au Programme Régional d’Accès à la Prévention et aux Soins
des personnes en grande précarité
Résumé :
Quand la souffrance est trop profonde, il n’y a plus d’appel, plus de
demande d’aide, plus de parole adressée à l’autre. Aussi, tout un travail
d'équipe, de liens, tout un réseau, sont nécessaires pour mettre en place et
faire fonctionner des dispositifs, pour prévenir, orienter, prendre en compte
et faire face à de telles souffrances qui concernent toute personne en
souffrance identitaire.
Nous aborderons dans cet article deux questions:
1. Comment développer une pratique clinique quand un sujet n'adresse pas
directement de demande au clinicien ?
2. Comment intervenir pour un sujet quand il dépend de tiers qui dénient
l'existence de sa souffrance ?
Mots clés : souffrance précoce, précarité psychique, lien,
exclusion,demande de soins, équipe pluriprofessionnelle, travail en réseau.
Bon nombre d’intervenants sociaux, travailleurs sociaux et
professionnels intervenant dans le champ de la santé mentale constatent la
difficulté des personnes en grande précarité pour accéder aux services de
soins, notamment venir consulter, prendre un rendez-vous au Centre Médicopsychologique
ou tout simplement exprimer leur souffrance.
Il sera question ici d’une présentation d’un groupe de professionnels se réunissant depuis plusieurs
années dans le cadre d’un groupe appelé "Demande et non-demande de
soin". Je m’appuierai sur certaines approches et quelques
illustrations de situations abordées et travaillées dans ce cadre.
Ce groupe est inscrit depuis décembre 2010 dans le cadre de la
Plate-Forme Nord Du Programme Régional d’Accès à la Prévention et aux Soins.Y
participent régulièrement un psychiatre, praticien hospitalier au service des
urgences de l’hôpital général, une cadre en soins infirmiers et une infirmière,
une assistante sociale et deux
psychologues du Pôle Clinique du
secteur de soins psychiatriques, un médecin de l’association Réseau Emploi
Solidarité Insertion, une psychologue et une assistante sociale du Conseil
Général, un travailleur social de la Mission Locale, une intervenante du
Service d’Insertion en Milieu Ordinaire de travail de l’UNAFAM, deux responsables d’accompagnement RSA
d’une association d’insertion, un délégué à la tutelle de l'UDAF et un
représentant de l’Association "Droit au Travail".
Nous mettons en questionnement
des situations professionnelles complexes dont certaines sont communes à plusieurs
professionnels présents, en vue de mieux définir les spécificités de
l’intervention sociale, psychologique ou psychiatrique.
Ceci dans le but
- de développer une meilleure
articulation entre le social et le sanitaire,
- de dédramatiser le recours
éventuel aux soins psychiatriques
- de soutenir une ouverture du
médical en direction du social et réciproquement.
Nous avons été amenés à repenser
nos dispositifs d’intervention et de prise en charge sociale, psychologique ou
médicale, en particulier pour des personnes qui auraient manifestement besoin
de soins et qui néanmoins n’en expriment pas la demande.
Nous avons travaillé la question de la précarité psychique, celle de la
souffrance précoce, la difficulté que rencontre la personne à mettre en mots une demande d’aide ou de
soins.
Le contexte présidant à la
création des PRAPS :
Les Programmes régionaux d'accès à la prévention et aux
soins en faveur des personnes les plus démunies favorisent, au sein de chaque région, une approche globale
et coordonnée des problèmes de santé des publics en difficulté, pour lutter
contre les inégalités d’accès aux soins et à la prévention.
Mais d’où s’origine la création des PRAPS ?
Créés par la loi du
29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions, rendus obligatoires
par celle du 9 août 2004 relative à la santé publique, les PRAPS, vont
s'intégrer dans les futurs Projets régionaux de santé (P.R.S.)
Par ailleurs, la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et
relative aux patients, à la santé et aux territoires définit que différents
programmes déclinent les modalités spécifiques d'application, dont un programme
relatif à l'accès à la
prévention et aux soins des personnes les plus démunies
La première
génération de PRAPS a couvert la période 2000-2002. Une deuxième génération a
été mise en place en 2003, la troisième en 2009.
Au-delà des actions bénéficiant en première intention aux
publics précaires, l’efficacité des PRAPS passe par leur capacité à mobiliser
professionnels et institutions.
Les PRAPS doivent permettre la recherche de solutions
innovantes, le plus souvent interprofessionnelles, voire
interinstitutionnelles, dans les champs de la santé et du social à des
problématiques clairement identifiées qui, quelques fois, ne peuvent pas être
résolues par le droit commun.
Le PRAPS Alsace 2009-2013 a été approuvé par Arrêté Préfectoral
du 14 décembre 2009 et ses objectifs portent sur 6 axes :
- l'accès aux droits
- l'accès aux soins,
- la prise en compte de la santé mentale,
- l'accès à la prévention,
- l'accompagnement,
- la santé et l'insertion professionnelle.
Notre groupe appelé groupe numéro 8 "Demande non-demande de
soin" se situe à la croisée de ces différents axes.
Qu’est-ce que le travail
en réseau ?
Le
réseau c’est s’informer, se coordonner passer le relai et avoir un
retour sur ce que devient la situation de la personne accompagnée. On
arrive à avancer ensemble, à mieux se connaître, à admettre que chacun conserve
son champ de compétences et qu’il faut le respecter.
Pour notre groupe,
l’Articulation se situe à 3 niveaux au moins :
1. D’abord, Le contact entre une structure sociale et le CMP, Centre
Médico-Psychologique
Dans les CHRS, Centres d’Hébergement et de Réinsertion
Sociale, les infirmières de l’équipe du CMP assurent des permanences hebdomadaires pour le
public en situation de précarité. Elles mènent des entretiens à visée évaluative et orientent, si besoin, les
personnes vers le Centre de
consultations Médicopsychologique, 1A rue du Château à Haguenau
Les soignants sont également
présents dans le foyer d’hébergement lors d’une réunion mensuelle avec
l’équipe du foyer. Ils proposent
un appui aux professionnels au cours
de la réunion : un travailleur social évoque la situation d’un résident, afin que les soignants
présents puissent apporter leur écoute et leur analyse.
2. Ensuite, Le contact
entre le CMP et une structuration
du groupe appelé Groupe Numéro 8 "Demande et non-demande de
soin".
Lors de
ces réunions deux temps sont organisés :
- Un
premier temps de travail à partir de textes officiels pendant lequel un intervenant présente des dispositifs inovants ou une réflexion sur nos pratiques
s’appuyant sur des articles spécialisés.
- Un
deuxième temps de travail à partir d’une situation complexe nécessitant une
réflexion entre partenaires et permettant à chacun d’apporter son expertise,
une écoute ou de s’engager dans une élaboration de la situation.
Illustration par quelques
situations.
Nombreuses
questions évoquées sur l’accompagnement de jeunes adultes désocialisés habitant
chez les parents et nécessitant un accompagnement vers une plus grande
ouverture sociale.
- Une mère de famille
qui est venue une seule fois en consultation pour évoquer le problème de
son fils âgé de 26 ans en retranchement total depuis 3 ans. Puis cette
mère ne s’est plus présentée, comment poursuivre ????
- Un jeune patient
isolé, seul en appartement,
s’est présenté à un seul rendez-vous médical. Il a toujours refusé un suivi social.
Il y a risque de marginalisation et d’expulsion.
- Un fils qui ne parle
plus à ses parents chez qui il loge, passe son temps sur internet, refuse
tout suivi psy, fugue et ne se manifeste que par des comportement
d’addiction à des toxiques.
- Un jeune homme pris
en charge à la mission locale présentant des phobies, comment concrétiser
un projet professionnel qui lui demande d’être en formation en
groupe ???
- Un homme de 45 ans,
célibataire, vit d’une pension d’invalidité, suivi à un moment donné par
le service d’addiction du Centre hospitalier. Mais cet homme n’aurait pas
le profil de dépendance tel qu’annoncé. Il se présente au Centre social à
chaque rendez-vous, pourtant n’exprime pas de demande particulière. Il
tient un discours figé, ne
fait aucun choix. Comme la situation ne semble plus évoluer après quelques
mois, le relais a été
donné à un autre partenaire
au Centre Médicopsychologique.
- Un jeune homme de 27
ans qui vient en accompagnement social depuis 1 an. Il n’aurait pas sa
place dans la cellule familiale. Il vient aux rendez-vous régulièrement, mais les entretiens sont compliqués, il
ne parle pas, présente une incurie. Il se pose la question de l’insertion
collective. Il ne vient pas par obligation, mais il garde une grande
difficulté à évoquer
son parcours. Cela se traduit par des essais et tâtonnements dans l’aide
qui peut lui être apportée.
- Un Médecin amenant
son patient à réduire sa consommation d’alcool avant de trouver un emploi.
Il devrait bénéficier d’un suivi par ce médecin en confiance, pour avoir
des chances de garder cet emploi. Mais la mesure d’accompagnement doit
s’arrêter par suite de l’absence de financement pour la prise en charge.
Lorsque
le travail avec un usager prend plus de temps et que l’intervenant se rend
compte qu’il n’y a plus aucune avancée, quelle orientation donner ?
Il s’agit là de penser l’intervention d’un tiers pour débloquer la
situation ou passer le relais.
Comment poser les limites
de l’intervention et à quelle place se tenir ?
L'usager
peut exprimer ses limites et l’intervenant doit aussi parfois savoir dire stop, c’est-à-dire garder
une place que définit sa fonction et son statut.
Mais
dans les métiers de la relation, nous savons qu’à côté du statut et de la
fonction, il y a le rôle investi imaginairement, soutenu par une dynamique
relationnelle que nous appelons transférentielle, nourrie d’empathie ou de
réticence, relation avec le bénéficiaire pour les uns, pour le patient pour les
autres.
Conclusion :
Nous
reprenons dans le cadre du groupe du PRAPS,
nous engageant de manière spécifique :
Il nous faut donc, dans un premier temps, aider ces personnes à s’approprier la demande
d’aide, ce qui peut prendre du
temps.
Certaines personnes, les plus nombreuses, ne seront présentes qu’à un ou deux rendez-vous
au CMP, évoqueront brièvement leur
histoire de vie et, dans le meilleur
des cas, reviendront quelques semaines ou mois plus tard, demandeuses d’un suivi.
D’autres viendront régulièrement aux rendez-vous, d’abord parce que ça
leur fait du bien "de
parler" comme elles disent, puis parce qu’elles veulent que cela change.
Nous essayons alors de prendre avec leur accord, un contact avec un médecin
généraliste ou, si les signes psychopathologiques sont présents et répétés,
nous les adressons à un psychiatre du CMP pour avis ou même pour le suivi d’un traitement.
Enfin, quelques personnes sont, dès le début de la prise en soins, en
demande d’un suivi psychothérapeutique,
mais cela reste rare.
Nous avons le souvenir cependant, d’une personne sortant de prison,
hébergée en foyer, ayant pu reconstruire une vie familiale et professionnelle,
- Un jeune homme en perte de confiance habitant
seul avec sa mère, pris dans des conduites déviantes, qui reprend une
formation qualifiante avec l’appui de la Mission Locale
- Une femme
victime de violences conjugales qui reprend confiance en elle avec
l’appui du foyer d’hébergement, s’installe socialement et renoue les liens
avec ses trois filles.
Ces exemples récents illustrent, certes, l’aboutissement d’un travail
psychothérapeutique par un engagement mutuel de la personne et de l’intervenant.
Mais ils rendent également
compte des échanges entre différents professionnels à l'intérieur de notre
groupe, à partir d’une situation de blocage ou d’une situation traumatique.
Dans la majorité de ces situations, nos suivis sont trop brefs ou discontinus. Alors, il est rassurant et
encourageant d’avoir des nouvelles
par un travailleur social de personnes rencontrées. Ou grâce au lien qui s'est
tissé, bénéficier d'une relance du contact pour pouvoir poursuivre le travail
engagé avec cette personne.
Dans
cette conclusion, je dégagerais néanmoins les faiblesses qui s'accentuent dans
nos pratiques d’interventions ou tout simplement dans l’installation d'un tel
dispositif d’échange et de travail :
- Imperméabilité des différents
dispositifs sociaux qui coexistent pourtant, en raison d'un manque de
concertation et de liaison,
- Diminution du temps et de la
disponibilité à consacrer au public en raison d’une augmentation importante des
tâches administratives,
- Fragilisation de la dimension
collective du travail médico-social,
- Difficulté à maintenir des
espaces de travail interinstitutionnels
- Transformation de la nature
même sinon de la finalité du travail d’accompagnement social ou du soin, comme
par exemple le patient réduit à des troubles du comportement où l’usager à un
cadre formel d’accompagnement social, n’envisageant pas la personne dans sa
dimension ontologique, de sujet.
-
Effets de la fragmentation de l’approche de l’usager ou du patient qui débouche
parfois sur des défenses
régressives, des réémergences
pulsionnelles se traduisant par un regain de violences.
Comme
nous l'avons vu, notre groupe propose un travail qui va interagir sur l’accompagnement social ou
thérapeutique par des professionnels, pour des personnes bloquées dans la
répétition, figées dans un impossible à dire.
Pour
nous, trouver une issue possible,
tenter de répondre à la situation
d’une personne en crise ou en prise dans ses liens, nécessite ce partage
d’information. Nous restons néanmoins soucieux des éléments de confidentialité,
nous appuyant sur une confiance mutuelle et tenant compte des compétences de
chacun.
Louis PROST
Psychologue clinicien
Avril 2014