Pourquoi ce blog ?

Croiser la notion de crise avec l’acte de créer ; il semble que ces deux éléments renvoient à toutes les réflexions sur le vivant.

S’inspirant d’un parcours personnel et professionnel, cette croisée ouvre et interroge à la fois pour l’individu, sa place et ses limites dans l’espace du social et du politique.

La crise, ce n’est pas l’urgence. C'est un processus de maturation auquel une personne se trouve confronté. Elle peut y répondre selon des axes réflexifs, qui lui sont propres et une temporalité qu'elle arrive à dégager.

On parlera de la crise comme un temps que le sujet se donne à la réflexion permettant d’opérer des choix, choix de s’y confronter seul ou choix d’en appeler à un autre pour en proposer des modes singuliers et spécifiques de résolutions.

lundi 22 septembre 2014

L’expérience d’un groupe pluriprofessionnel appelé "Demande et non-demande de soin".

Résumé :

Quand la souffrance est trop profonde, Il n’y a plus d’appel, plus de demande d’aide, Plus de parole adressée à l’autre. Aussi, tout un travail d'équipe, de liens, tout un réseau, est nécessaire pour mettre en place et faire fonctionner des dispositifs, pour prévenir, orienter, prendre en compte et faire face à de telles souffrances qui concernent toute personne en souffrance identitaire.

Nous aborderons dans cet article deux questions:
1. Comment développer une pratique clinique quand un sujet n'adresse pas directement de demande au clinicien ?
2. Comment intervenir pour un sujet quand il dépend de tiers qui dénient l'existence de sa souffrance ?

Mots clés : souffrance précoce, précarité psychique, lien, exclusion,demande de soins, équipe pluriprofessionnelle, travail en réseau.

Groupe participant au "Programme Régional d’Accès à la Prévention et aux Soins des personnes en grande précarité".

Vous trouverez ci-dessous l'intégralité du texte.
Vous pouvez aussi le télécharger ICI.
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L’expérience d’un groupe pluriprofessionnel appelé
"Demande et non-demande de soin".

Participant au Programme Régional d’Accès à la Prévention et aux Soins des personnes en grande précarité



Résumé :
Quand la souffrance est trop profonde, il n’y a plus d’appel, plus de demande d’aide, plus de parole adressée à l’autre. Aussi, tout un travail d'équipe, de liens, tout un réseau, sont nécessaires pour mettre en place et faire fonctionner des dispositifs, pour prévenir, orienter, prendre en compte et faire face à de telles souffrances qui concernent toute personne en souffrance identitaire.

Nous aborderons dans cet article deux questions:
1. Comment développer une pratique clinique quand un sujet n'adresse pas directement de demande au clinicien ?
2. Comment intervenir pour un sujet quand il dépend de tiers qui dénient l'existence de sa souffrance ?

Mots clés : souffrance précoce, précarité psychique, lien, exclusion,demande de soins, équipe pluriprofessionnelle, travail en réseau.


Bon nombre d’intervenants sociaux, travailleurs sociaux et professionnels intervenant dans le champ de la santé mentale constatent la difficulté des personnes en grande précarité pour accéder aux services de soins, notamment venir consulter, prendre un rendez-vous au Centre Médicopsychologique ou tout simplement exprimer leur souffrance. 

Il sera question ici d’une présentation  d’un groupe de professionnels se réunissant depuis plusieurs années dans le cadre d’un groupe appelé "Demande et non-demande de soin". Je m’appuierai sur certaines approches et quelques illustrations de situations abordées et travaillées dans ce cadre.

Ce groupe est inscrit depuis décembre 2010 dans le cadre de la Plate-Forme Nord Du Programme Régional d’Accès à la Prévention et aux Soins.Y participent régulièrement un psychiatre, praticien hospitalier au service des urgences de l’hôpital général, une cadre en soins infirmiers et une infirmière, une assistante sociale et  deux psychologues du Pôle Clinique  du secteur de soins psychiatriques, un médecin de l’association Réseau Emploi Solidarité Insertion, une psychologue et une assistante sociale du Conseil Général, un travailleur social de la Mission Locale, une intervenante du Service d’Insertion en Milieu Ordinaire de travail de l’UNAFAM,  deux responsables d’accompagnement RSA d’une association d’insertion, un délégué à la tutelle de l'UDAF et un représentant de l’Association "Droit au Travail".

Nous mettons en questionnement des situations professionnelles complexes dont certaines sont communes à plusieurs professionnels présents, en vue de mieux définir les spécificités de l’intervention sociale, psychologique ou psychiatrique.
 Ceci dans le but 
- de développer une meilleure articulation entre le social et le sanitaire,
- de dédramatiser le recours éventuel aux soins psychiatriques
- de soutenir une ouverture du médical en direction du social  et réciproquement.

Nous avons été amenés à repenser nos dispositifs d’intervention et de prise en charge sociale, psychologique ou médicale, en particulier pour des personnes qui auraient manifestement besoin de soins et qui néanmoins n’en expriment pas la demande.

Nous avons  travaillé la question  de la précarité psychique, celle de la souffrance précoce, la difficulté que rencontre la personne à  mettre en mots une demande d’aide ou de soins.

Le contexte présidant à la création des PRAPS :

Les Programmes régionaux d'accès à la prévention et aux soins en faveur des personnes les plus démunies  favorisent, au sein de chaque région, une approche globale et coordonnée des problèmes de santé des publics en difficulté, pour lutter contre les inégalités d’accès aux soins et à la prévention.

Mais d’où s’origine la création des PRAPS ?

Créés par la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions, rendus obligatoires par celle du 9 août 2004 relative à la santé publique, les PRAPS, vont s'intégrer dans les futurs Projets régionaux de santé (P.R.S.)

Par ailleurs, la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires définit que différents programmes déclinent les modalités spécifiques d'application, dont un programme relatif
à l'accès à la prévention et aux soins des personnes les plus démunies
La première génération de PRAPS a couvert la période 2000-2002. Une deuxième génération a été mise en place en 2003, la troisième en 2009.

Au-delà des actions bénéficiant en première intention aux publics précaires, l’efficacité des PRAPS passe par leur capacité à mobiliser professionnels et institutions.

Les PRAPS doivent permettre la recherche de solutions innovantes, le plus souvent interprofessionnelles, voire interinstitutionnelles, dans les champs de la santé et du social à des problématiques clairement identifiées qui, quelques fois, ne peuvent pas être résolues par le droit commun.

Le PRAPS Alsace 2009-2013 a été approuvé par Arrêté Préfectoral du 14 décembre 2009 et ses objectifs portent sur 6 axes :
- l'accès aux droits
- l'accès aux soins,
- la prise en compte de la santé mentale,
- l'accès à la prévention,
- l'accompagnement,
- la santé et l'insertion professionnelle.

 Notre groupe appelé groupe numéro 8 "Demande non-demande de soin" se situe à la croisée de ces différents axes.

Qu’est-ce que le travail en réseau ?
Le réseau c’est s’informer, se coordonner passer le relai et avoir un retour sur ce que devient la situation de la personne accompagnée. On arrive à avancer ensemble, à mieux se connaître, à admettre que chacun conserve son champ de compétences et qu’il faut le respecter.



Pour notre groupe, l’Articulation se situe à 3 niveaux au moins :

1. D’abord, Le contact entre une structure sociale et le CMP, Centre Médico-Psychologique
Dans les  CHRS, Centres  d’Hébergement et de Réinsertion Sociale, les infirmières de l’équipe du CMP assurent des  permanences hebdomadaires pour le public en situation de précarité. Elles mènent des entretiens  à visée évaluative  et orientent, si besoin, les personnes  vers le Centre de consultations Médicopsychologique, 1A rue du Château à Haguenau

Les soignants sont également  présents dans le foyer d’hébergement lors d’une réunion mensuelle avec l’équipe du foyer.  Ils proposent un appui aux professionnels au cours  de la réunion : un travailleur social évoque la situation d’un  résident, afin que les soignants présents puissent apporter leur écoute et leur analyse.


2.  Ensuite, Le contact entre le CMP et une structuration  du groupe appelé Groupe Numéro 8 "Demande et non-demande de soin".

Lors de ces réunions deux temps sont organisés :
- Un premier temps de travail à partir de textes officiels pendant lequel  un intervenant présente  des dispositifs inovants  ou une réflexion sur nos pratiques s’appuyant sur des articles spécialisés.

- Un deuxième temps de travail à partir d’une situation complexe nécessitant une réflexion entre partenaires et permettant à chacun d’apporter son expertise, une écoute ou de s’engager dans une élaboration de la situation.

Illustration par quelques situations.

Nombreuses questions évoquées sur l’accompagnement de jeunes adultes désocialisés habitant chez les parents et nécessitant un accompagnement vers une plus grande ouverture sociale.
  • Une mère de famille qui est venue une seule fois en consultation pour évoquer le problème de son fils âgé de 26 ans en retranchement total depuis 3 ans. Puis cette mère ne s’est plus présentée, comment poursuivre ????
  • Un jeune patient isolé, seul en appartement,  s’est présenté à un seul rendez-vous médical. Il  a toujours refusé un suivi social. Il y a risque de marginalisation et d’expulsion.
  • Un fils qui ne parle plus à ses parents chez qui il loge, passe son temps sur internet, refuse tout suivi psy, fugue et ne se manifeste que par des comportement d’addiction à des toxiques.
  • Un jeune homme pris en charge à la mission locale présentant des phobies, comment concrétiser un projet professionnel qui lui demande d’être en formation en groupe ???
  • Un homme de 45 ans, célibataire, vit d’une pension d’invalidité, suivi à un moment donné par le service d’addiction du Centre hospitalier. Mais cet homme n’aurait pas le profil de dépendance tel qu’annoncé. Il se présente au Centre social à chaque rendez-vous, pourtant n’exprime pas de demande particulière. Il tient un  discours figé, ne fait aucun choix. Comme la situation ne semble plus évoluer après quelques mois, le relais  a été donné  à un autre partenaire au Centre Médicopsychologique.
  • Un jeune homme de 27 ans qui vient en accompagnement social depuis 1 an. Il n’aurait pas sa place dans la cellule familiale. Il vient aux rendez-vous régulièrement, mais  les entretiens sont compliqués, il ne parle pas, présente une incurie. Il se pose la question de l’insertion collective. Il ne vient pas par obligation, mais il garde une grande difficulté   à évoquer son parcours. Cela se traduit par des essais et tâtonnements dans l’aide qui peut lui être apportée.
  • Un Médecin amenant son patient à réduire sa consommation d’alcool avant de trouver un emploi. Il devrait bénéficier d’un suivi par ce médecin en confiance, pour avoir des chances de garder cet emploi. Mais la mesure d’accompagnement doit s’arrêter par suite de l’absence de financement pour la prise en charge.
Lorsque le travail avec un usager prend plus de temps et que l’intervenant se rend compte qu’il n’y a plus aucune avancée, quelle orientation donner ?

Il s’agit là de penser l’intervention d’un tiers pour débloquer la situation ou passer le relais.

Comment poser les limites de l’intervention et à quelle place se tenir ?
L'usager peut exprimer ses limites et l’intervenant doit aussi parfois  savoir dire stop, c’est-à-dire garder une place que définit sa fonction et son statut.
Mais dans les métiers de la relation, nous savons qu’à côté du statut et de la fonction, il y a le rôle investi imaginairement, soutenu par une dynamique relationnelle que nous appelons transférentielle, nourrie d’empathie ou de réticence, relation avec le bénéficiaire pour les uns, pour le patient pour les autres.


Conclusion :


Nous reprenons dans le cadre du groupe du PRAPS, nous engageant de manière spécifique :

Il nous faut donc, dans un premier temps, aider ces  personnes à s’approprier la demande d’aide, ce qui peut prendre  du temps.
Certaines personnes, les plus nombreuses, ne seront  présentes qu’à un ou deux rendez-vous au CMP, évoqueront  brièvement leur histoire de vie et, dans le meilleur  des cas, reviendront quelques semaines ou mois plus tard,  demandeuses d’un suivi.
D’autres viendront régulièrement aux rendez-vous, d’abord parce que ça leur fait du bien  "de parler" comme elles disent, puis parce qu’elles veulent que cela change. Nous essayons alors de prendre avec leur accord, un contact avec un médecin généraliste ou, si les signes psychopathologiques sont présents et répétés, nous les adressons à un psychiatre du CMP pour avis ou même pour le suivi d’un traitement.
Enfin, quelques personnes sont, dès le début de la prise en soins, en demande d’un suivi psychothérapeutique,  mais cela reste rare.

Nous avons le souvenir cependant, d’une personne sortant de prison, hébergée en foyer, ayant pu reconstruire une vie familiale et professionnelle,
  • Un jeune homme en perte de confiance habitant seul avec sa mère, pris dans des conduites déviantes, qui reprend une formation qualifiante avec l’appui de la Mission Locale
  • Une femme  victime de violences conjugales qui reprend confiance en elle avec l’appui du foyer d’hébergement, s’installe socialement et renoue les liens avec ses trois filles.

Ces exemples récents illustrent, certes, l’aboutissement d’un travail psychothérapeutique par un engagement mutuel de la personne et de l’intervenant. Mais ils rendent également compte des échanges entre différents professionnels à l'intérieur de notre groupe, à partir d’une situation de blocage ou d’une situation traumatique.

Dans la majorité de ces situations, nos suivis  sont trop brefs ou discontinus. Alors, il est rassurant et encourageant  d’avoir des nouvelles par un travailleur social de personnes rencontrées. Ou grâce au lien qui s'est tissé, bénéficier d'une relance du contact pour pouvoir poursuivre le travail engagé avec cette personne.

Dans cette conclusion, je dégagerais néanmoins les faiblesses qui s'accentuent dans nos pratiques d’interventions ou tout simplement dans l’installation d'un tel dispositif d’échange et de travail :

- Imperméabilité des différents dispositifs sociaux qui coexistent pourtant, en raison d'un manque de concertation et de liaison,
- Diminution du temps et de la disponibilité à consacrer au public en raison d’une augmentation importante des tâches administratives,
- Fragilisation de la dimension collective du travail médico-social, 
- Difficulté à maintenir des espaces de travail interinstitutionnels
- Transformation de la nature même sinon de la finalité du travail d’accompagnement social ou du soin, comme par exemple le patient réduit à des troubles du comportement où l’usager à un cadre formel d’accompagnement social, n’envisageant pas la personne dans sa dimension  ontologique, de sujet.
- Effets de la fragmentation de l’approche de l’usager ou du patient qui débouche parfois sur des  défenses régressives,  des réémergences pulsionnelles se traduisant par un regain de violences.

Comme nous l'avons vu, notre groupe propose un travail qui va interagir  sur l’accompagnement social ou thérapeutique par des professionnels, pour des personnes bloquées dans la répétition, figées dans un impossible à dire.
Pour nous,  trouver une issue possible, tenter de  répondre à la situation d’une personne en crise ou en prise dans ses liens, nécessite ce partage d’information. Nous restons néanmoins soucieux des éléments de confidentialité, nous appuyant sur une confiance mutuelle et tenant compte des compétences de chacun.

Louis PROST
Psychologue clinicien



Avril 2014

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